10 sept. 2012

Ainsi Dieu

Dieu n'a jamais été pour moi, au mieux, qu'une hypothèse. Je ne crois pas en Dieu. Je ne crois pas que Dieu existe. Je ne tire aucune fierté de ce constat. Il me rendrait plutôt triste, voire orphelin, si je ne l'étais déjà, si je ne l'avais toujours été. Je sais que Dieu existe pour certains, mais ce n'est pas une preuve en soi. Ce qui existe alors pour ces gens-là, c'est leur croyance en Dieu, c'est la foi, une énergie spéciale que leur confère ce fol espoir d'un Père éternel plus ou moins bienveillant et protecteur, encore que pas mal inquiétant par maints aspects, puisque les croyants le craignent. Si je crois que les petits hommes verts existent, je ne prouve pas leur existence par mon affirmation. Je formule une hypothèse — et comme je crois en mon hypothèse, je suis habile assez pour ramasser de prétendues preuves qui vous prouveront que les petits hommes verts existent. Un peu d'intelligence au départ. La crédulité humaine fait le reste. J'écris des livres et je les vends bien parce qu'il existe des pigeons pour les acheter et croire avec moi que nous sommes arrivés ici-bas sans passer par le singe. 

Je ne nie pas que quelque chose puisse exister qui nous dépasse et que l'on appelle Dieu par commodité, parce qu'il n'est pas facile de formuler ce que l'on ressent parfois, cette bizarre nostalgie d'un monde parfait, cette sensation de n'être que le fruit d'une chute ou d'une dégringolade. Ce quelque chose qui me dépasse, si je l'appelle Dieu, je ne lui prête pas de visage, pas de pensée, pas de conscience, aucun jugement. Il est puissant, aveugle. Sa force est à la fois cosmique et tellurique. Il n'en jouit pas. Tel le vent. Tel le raz-de-marée. Tel l'orage. Tel le tremblement de terre. Telle l'éruption volcanique. C'est tout de suite moins poétique, moins rassurant. Nous sommes seuls, tout nous est hostile. Personne, nulle part, ne pense à nous comme le sauveteur pense à des naufragés. Si nous coulons, l'espoir d'une bouée ne nous empêchera pas de sombrer. Certains se noieront sans gigoter, avec même un vague sourire, persuadés qu'ils sont de mourir pour mieux renaître ailleurs, dans la ouate éternelle d'un Ciel qui ressemble furieusement à la quiétude liquide du fœtus. Je conçois, comme Jean Dutourd, que l'idée de la non-existence de Dieu soit trop désespérante pour renoncer à lui. Mais au lieu de m'abandonner à la confortable illusion de Dieu, je préfère affronter le vide et tirer mes jouissances de ce que la terre nous donne, et de mon imagination quand le réel ne suffit pas. Je me fie à mon instinct, à mon ressenti, sans m'encombrer d'interdits religieux ou moraux, bien que je sois influençable à cet égard, puisque le mécréant qui vous parle a été élevé dans un milieu où Dieu n'existait que trop, avec une impressionnante liste de choses à ne pas faire, à ne pas dire, à ne pas penser — de quoi vous corseter à vie. 

Si je ne crois pas en Dieu, je ne me permets pas tout. La souris que je suis ne danse pas forcément quand le chat s'est fait la malle avec une chatte du voisinage. Je n'ai pas besoin de sentir à chaque instant que je suis libre, métaphysiquement parlant. Je n'ai pas besoin de jouir en permanence, ni de me comporter comme si je faisais la nique au monde entier. Je ne suis même pas serein. J'ai trop conscience de mes limites temporelles. 

À l'âge de la science triomphante, Dieu devrait sembler une poussiéreuse relique. Ce n'est pas le cas — et je me garde d'ajouter « Hélas ! ». Plus la science progresse, plus l'hypothèse divine est cohérente. Toutes les religions partent d'un rien initial, d'un chaos qu'un événement prodigieux organise soudain et promptement, avec une apparence de dessein, une esquisse de forme, une manière de volonté, une velléité d'ordre — le tout prouvant une intelligence et donc, une existence, un être qui préexistait et sans doute somnolait, s'il ne naissait pas lui-même de ce chaos dont il aurait pris les commandes ab ovo, grandissant avec lui, devenant sublime dès son apparition, sachant tout faire déjà, dans tous les arts. La théorie scientifique du Big Bang n'est jamais que l'hypothèse physique et mécanique de la création, telle qu'elle nous est contée dans les livres religieux et dans les légendes païennes. Partout, le même schéma. Pendant longtemps, il n'y avait rien. En une seconde, une étincelle suivie d'un fracas cosmique géant, tout est là. Comment dès lors croire au hasard ? Comment ne pas croire qu'il y eût un machiniste aux commandes ? 

Le problème avec Dieu est qu'il aurait dû demeurer un concept. Il a fallu, pour faire admettre et comprendre Dieu aux gens de faible entendement, qu'on lui prête figure humaine et le caractère d'un homme. On pense à Dieu et un farouche vieillard surgit d'entre les nuages, l'air courroucé, l'index désignant au hasard un pauvre et tout tremblant pécheur. Ce Dieu anthropomorphe ressemble trait pour trait à un grand-père ombrageux et taciturne qui aurait connu la guerre de 14 et celle de 40 et en aurait ramené de solides rancunes et ce drôle d'altruisme consistant à ne s'intéresser à autrui que pour lui reprocher ses vices et ses défauts.

Ce Dieu des tranchées et des rats est réputé bon, bienveillant, miséricordieux. Les textes bibliques nous le dépeignent pourtant volontiers furibard. Au lieu de s'adonner à la poésie, il déchaîne les cieux et noie la terre entière, comme n'importe quel fou furieux décimant les siens au retour d'une virée arrosée entre potes. À la fin, il est si énervé contre tout le monde qu'il nous promet l'Apocalypse et la fin des temps. Imaginons un peu le grand-père qui en conterait de telles à ses petits-enfants et leur promettrait raclées, torgnoles et autres tourments. Un pareil sadique, on le zigouillerait dans son fauteuil. Un croquemitaine n'est pas plus effrayant.

Je ne crois pas en Dieu et nul ne songe à me le reprocher. Je n'embête pareillement pas ceux qui fondent sur son existence toute une philosophie de vie et de pensée. Je ne crois pas en l'existence de Dieu, mais partout sa présence explose. Pas un village sans une église, une chapelle votive, une ou plusieurs croix délabrées au détour d'un chemin. Dieu, s'il n'a plus le vent en poupe, demeure chez lui chez nous. On aime le savoir là, comme cette pendule affreuse héritée du grand-père et qu'on finit par adopter, à chérir parfois, moins pour elle-même que pour les souvenirs qu'elle évoque. Un brocanteur nous en donnerait dix briques que nous le jetterions dehors avec au cul la dédicace de notre chaussure. Nous ne l'aimons pas, nous voudrions ne pas l'avoir reçue en héritage. Mais elle est là, tout comme Dieu, même s'il n'existe pas...