26 mai 2012

Les mondes affrontés

Je n'oublie bien sûr pas la suite promise de ma série Ici la guerre.

Les mondes affrontés... Qu'est-ce à dire ?

J'utilise affronté dans son acception héraldique ou numismatique de « front à front », lorsque deux figures, souvent identiques d'ailleurs, jumelles, sont présentées ainsi. Elles se font face, s'opposent, sans nécessairement entretenir un rapport d'hostilité. Je suggère donc l'idée de mondes qui se regardent dans le blanc des yeux, avec toute la froideur que suppose un affrontement sérieux, loin donc des minuscules bisbilles de chapelles, des picrocholines querelles de clochers.

La droite contre la gauche, ou vice-versa, semble pour beaucoup une bien artificielle opposition, comme s'il ne s'agissait que d'un perpétuel et lassant chassé-croisé en vue d'exercer le pouvoir et de profiter surtout des avantages y afférents. Cette vision dégénérée de la bataille politique reflète autant la sottise de ceux qui ne pigent rien à la politique et ses enjeux, que la réalité du cirque politique contemporain. On se bat pour le prestige et des pots de confiture. On ne vainc que pour être vu, admiré, envié, craint parfois. On vise les plus belles places, celles qui brilleront en lettres d'or dans le Who's Who. On veut être là pour y être, comme à Cannes. Et comme à Cannes, l'important c'est la pose.

Veut-on un exemple remarquable de ces nuisibles qui pullulent en politique ? Rachida Dati. Elle n'est là que pour y être et papoter avec les copines. La remplacerait-on par un canard en plastique ou un parapluie que cela ne modifierait en rien le poids de la droite, n'altérerait en rien sa « force ». Et des nuisibles comme elle, moins spectaculairement nuisibles peut-être, la politique en compte mille et cent, à droite comme à gauche. Je m'abstiendrai de tout recensement. Là n'est pas le sujet.

La politique, au sens noble du terme, c'est autre chose que la vaine bataille pour un pouvoir et des dorures, des privilèges. À quoi sert un pouvoir qui ne veut rien, sinon se conserver ? Lorsqu'il est donné — par le suffrage universel —, ou pris — par la force des armes —, le pouvoir devrait servir un unique dessein : la cause politique pour laquelle on s'est battu. Le pouvoir ainsi vu n'est pas un but, mais un moyen. Il n'est pas une fin en soi, mais un départ. Que fait-on de ce pouvoir ? On l'exerce, pardi ! Chirac ne l'a pas exercé, mais il en a joui. Sarkozy l'a exercé, sans la moindre vision, modifiant sa stratégie au gré des vents ; lui aussi a joui de son pouvoir. Il aurait pu être président du Gabon ou de la Lettonie. C'est tombé sur la France. Hollande veut sans doute. Que peut-il dans les faits ? Et s'il pouvait ce qu'il veut, voulons-nous ce qu'il veut, lui ? Non, bien sûr : sa vision du monde n'est pas la nôtre. Nous le regardons comme un ennemi, lui et ses sbires.

On peut certes me reprocher d'admirer excessivement peut-être le général de Gaulle. Je l'admire moins pour sa politique, dans les faits, que pour sa vision politique, sa façon d'incarner à lui seul la France, de se confondre en elle. Personne n'eut de vision moins partisane que la sienne. Il se moquait même des gaullistes. Le Général exerçait le pouvoir sans en jouir. Jamais il ne dérogea à ses principes. Cette rigidité fait toute sa grandeur. Après lui, la France ne pouvait que décliner. Elle fit mieux, puisqu'elle dégringola. La souveraineté nationale, que le Général avait si constamment désirée et si farouchement défendue, fut mise à mal par le Traité de Maastricht en 92, instituant une Europe politique (de Communauté Économique Européenne — CEE —, l'Europe devint par ce traité la Communauté Européenne — CE —). Le Traité de Lisbonne en 2007 acheva la France (et les pays liés par ce traité) comme on achève une bête malade. La voici, nous voici désormais sous la tutelle d'une obscure Commission supranationale. Rien ne se fait plus au sein des nations européennes sans l'aval d'une Commission qui fait davantage penser à un consortium d'épiciers qu'à un état-major d'armée ou à un corps de philosophes au sens nietzschéen, dynamique, du terme. 

Quand Charles de Gaulle, le petit-fils du fondateur de la Ve République, se présenta au suffrage universel sur les listes du FN (v. note), ce fut une levée de boucliers familiale. Comment un de Gaulle pouvait-il salir à ce point le Nom ? Ce que je me demande, moi, c'est comment les héritiers du Nom peuvent supporter que les successeurs du « pater familias » aient dilapidé le bel héritage en cédant la France à l'Europe épicière. Ce que lesdits successeurs ont fait est comparable, le contexte guerrier en moins, au renoncement de Pétain à poursuivre la guerre contre les Nazis, à la politique d'alignement et de collaboration qui s'ensuivit. Le FN aujourd'hui, c'est de Gaulle depuis Londres et son célèbre appel. S'il est tout de même culotté d'avancer que le Général serait aujourd'hui lepéniste (ou mariniste), lui qui détestait les partis, on peut être sûr par contre qu'il eût rué des quatre fers pour empêcher qu'on attelât la charrette France au bœuf Europe, d'une manière telle que la souveraineté nationale n'existe plus dans les faits, bien que les pantins au pouvoir veuillent nous faire croire à l'indépendance préservée du pays. Tout ce que l'épicerie France contenait a été vendu au consortium dénoncé plus haut. Ne nous reste plus que les commis désœuvrés, ces hommes et ces femmes politiques que nous élisons et qui ne servent à rien, puisqu'ils ne peuvent plus rien.

Quand Sarkozy a lancé, par opportunisme, le débat sur l'identité nationale, j'ai suivi celui-ci en sachant bien que la taupinière accoucherait d'une fourmi. La question était pourtant de première importance, et son traitement vigoureux eût pu faire tache d'huile en Europe, mais elle fut traitée avec une légèreté digne d'un vaudeville de Labiche, par des intervenants qui n'y croyaient pas eux-mêmes, avaient honte d'en être. Parce que les mots nation, identité, quantités d'autres de cette famille, sont devenus nauséabonds. La droite le sait qui ne bavarde jamais là-dessus sans recevoir un immédiat coup de gourdin sur la tête — de la part du camp adverse et des médias affiliés, mais de son propre camp aussi, parfois préventivement, comme pour apparaître sinon plus vertueux, au moins plus rapides que les spécialistes autoproclamés du genre. Quand « la droite la plus bête du monde » bouge son cul, c'est pour affrioler l'adversaire, en offrir le défonçage à son vit breneux.

Les mondes affrontés sont deux visions antagonistes du monde. Les débats sur les bienfaits ou les méfaits de l'immigration de masse ne sont par exemple pas, comme la gauche le prétend, des conflits de cour de récréation sur fond de racisme plus ou moins échevelé : c'est une vision nationale et familiale d'une société donnée, typée, ancienne, enracinée, légitime, inquiète, contre une vision internationaliste et communautariste d'un monde asexué où chacun serait pareil à soi et soi pareil à chacun, un monde parfaitement indifférencié — ce qui est le comble du racisme, puisqu'il nie les différences au nom de l'égalitarisme. Quand on affirme qu'un étranger doit posséder en France les mêmes droits qu'un Français, on fait deux choses : on interdit à cet étranger d'être ce qu'il est, c'est-à-dire un étranger (ce n'est pas une maladie honteuse, mais un particularisme), et on vole au Français sa maison (puisqu'on l'ouvre à tous).

La droite dite républicaine est piégée dans tous les débats souverainistes par la gauche aux cris d'orfraies et par ses propres atermoiements, son incapacité chronique à s'affirmer, à assumer ses choix. On n'ose plus dire « la France », parce que ça pue la vieille France, la France rurale chère à Pétain. On dit « la République », alors que la République n'est jamais qu'un moment de l'histoire de France, une parenthèse peut-être. Il est hors de question de pleurnicher sur la disparition de l'Ancien Régime, de souhaiter une quelconque restauration, le retour du trône avec un roi dessus et des courtisans tout autour. Quant à la France rurale de Pétain, qui fut aussi celle du Général en sa jeunesse via Barrès ou Péguy, elle n'existe tout simplement plus, s'il reste des campagnes et trois vaches. La question du régime politique est pour moi subsidiaire. Une France moderne et ouverte sur le monde peut fort bien exister sans être pour autant une France agglomérée, une France où tous les citoyens du monde seraient chez eux, sauf précisément les Français de souche, ayant à expier je ne sais quel crime historique, quelle tare congénitale. Et ce que je dis de la France concerne aussi les autres nations. Une France française et indépendante ; une Italie italienne et indépendante ; une Allemagne, etc. Que chaque nation, affirmée, puisse conclure des alliances avec des nations voisines ou plus éloignées, par affinités ; alliances commerciales, culturelles, etc. Des traités, pourquoi pas ? pourvu qu'ils ne ligotent pas les nations. Ce contre quoi je suis, radicalement, c'est un état supranational. Je n'admets pas qu'un obscur fonctionnaire chypriote puisse décider que la Normandie doive produire moins de fromages au lait cru, et je n'admets pas davantage qu'un fonctionnaire français veuille que Chypre tonde la laine de ses moutons comme ceci et non comme ils ont là-bas l'habitude de le faire depuis des siècles. À la limite, je me fous pas mal que des pays arriérés pratiquent la charia ou l'excision, pourvu qu'on ne vienne pas introduire ces usages chez nous.

Je suis convaincu que la gauche n'est même pas choquée par la xénophobie en soi. Je tiens la xénophobie comme un réflexe naturel de protection. Des xénophobes, vous en trouverez autant à gauche qu'à droite. Il est naturel de préférer sa famille à ses voisins, ses voisins ou ses amis aux « touristes », surtout quand ces derniers prétendent dresser leurs tentes dans votre jardin, au nom d'une hospitalité pour laquelle vous n'avez pas été consulté. La préférence des siens aux autres n'induit pas une hostilité systématique aux autres. L'hostilité naît du surnombre, quand la quantité des autres vous fait sentir minoritaire chez vous. Une famille anglaise ou même maghrébine dans le village, ça ne le dénature pas, ça le colore d'une sympathique touche d'exotisme. Quand, sur les cent feux du patelin, quarante-cinq proviennent de vingt-trois nations différentes, surtout d'Afrique, surtout de mœurs et de pratiques religieuses étrangères à celles du cru, il est non seulement naturel, mais sain de s'en émouvoir. Oui à l'hospitalité, non à l'invasion.

La gauche est choquée par contre, ou fait semblant de l'être, par tout discours affirmant la primauté de la nation, son indépendance, sa volonté de demeurer soi, son désir de faire durer son histoire et ses particularismes, parce que la vision du monde à gauche est cosmopolitique et multiculturaliste. Pour ces gens-là, ils sont chez eux partout, et vous êtes tenus de tolérer chez vous des ahuris baragouinant deux mots de français et qui, à peine installés, se mêleront de vouloir repeindre vos murs à leurs couleurs, se mêleront d'exclure le porc de votre assiette par sournoise intimidation, empêcheront vos femmes et filles de se baigner au soleil dans des tenues toujours trop choquantes pour ces puritains hypocrites. Il n'y a pas d'un côté, à gauche, la vertu et de l'autre, à droite, le vice. L'affrontement gauche/droite n'oppose pas le Bien au Mal. Ce ne sont pas des luttes morales, mais politiques et politiques seulement. La droite a tort de se laisser entraîner dans des catégories morales. Et puisque, décidément, elle s'avère incapable de marquer son territoire sans en avoir sollicité la permission auprès des papautés de la gauche, nous abandonnons cette droite à son embarras et cessons d'attendre d'elle qu'elle défende notre vision du monde.

Quand à droite on prononce « nation », à gauche on affecte d'entendre « nationalisme », au sens exacerbé, agressif et conquérant du terme, et on s'étrangle, comme seule la gauche peut s'étrangler, avec la gestuelle exagérée du cinéma expressionniste. Peut-être ne suis-je pas attentif à tout, mais je ne crois pas avoir jamais entendu Marine Le Pen suggérer qu'elle s'empresserait, au pouvoir, d'attaquer et d'annexer la Suisse, la Belgique et autres contrées folkloriques, avant d'étendre l'aile impériale du coq français sur le reste du continent, afin d'y imposer je ne sais quoi de celtique, la cueillette du gui, le port obligatoire de la coiffe ou la blondeur. Le retour aux fondamentaux d'une nation indépendante ne signifie pas non plus, comme la gauche et une partie de la droite feignent de le penser, un repli frileux entre des frontières garnies de miradors avec soldats casqués dedans et chiens de berger tenus en laisse par d'inquiétantes sentinelles aux lourdes capotes vert-de-gris. Restaurer le contrôle aux frontières et restreindre par ce biais l'immigration illégale, ça n'est pas plus fasciste que de préférer les coccinelles aux doryphores. Quant à la préférence nationale qui fait hurler les comédiens engagés pour ce rôle, laissez-moi rire. Le Pen a affirmé à plusieurs reprises qu'elle ne distinguait pas les Français entre eux (et c'est à mon avis une lamentable erreur, si ce n'est pas un mensonge stratégique). Pour elle, pas de différence entre un Français dont le pedigree remonterait à Vercingétorix et un « Français » né la veille à Roissy d'un couple de Maliens en transit. 

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NOTE — Charles de Gaulle a d'abord été membre de l'UDF giscardienne, avant de rejoindre le MPF de Philippe de Villiers. Aux élections européennes de 1999 et municipales de 2001, il figure sur la liste du FN. Cette « infamie » lui vaudra d'être rappelé à l'ordre par une tribune dans Le Monde, signée de 57 descendants du Général. 

20 mai 2012

Ici la guerre : 2 - hégémonie

Pour rappel : Ici la guerre : 1 - prémices

* * *

Ce brave Ivan Petrovitch Pavlov avait un très bon chien. Il a fait des petits :

vous constatez qu'autour de vous la parole raciste et fasciste s'est libérée
Si nous nous mobilisons, c’est parce que cela fait trop longtemps que la parole raciste s’est libérée en France
Les « déra­pa­ges » ver­baux de mem­bres du gou­ver­ne­ment se suc­cè­dent, la droite décom­plexée la plus réac­tion­naire revient aux affai­res
Nous devons com­bat­tre cette bana­li­sa­tion des dis­cours racis­tes, anti­sé­mi­tes, isla­mo­pho­bes, sexis­tes et homo­pho­bes qui encou­ra­gent la haine de l’autre et pous­sent à la vio­lence
Mardi matin se tenait le débat parisien sur l'identité nationale au lycée Louis-le-Grand. Malgré les volontés de poser des cadres, la parole raciste s'est, comme ailleurs, libérée, offrant une tribune inespérée à l'extrême droite
C’est ainsi qu’en toute impunité s’est libérée et se libère à nouveau la parole raciste en France, 70 ans à peine après notre douloureuse histoire pétainiste

Google est à la portée de vos petits doigts frétillants si vous en voulez d'autres.

À gauche, on aime à se faire peur — ou plus exactement on aime à faire peur à l'aide d'épouvantails habillés pour la cause de cet antiracisme dont on peut désormais dire qu'il est un nouveau fascisme, tant il intervient dans tous les domaines pour dénoncer les « phobies » les plus délirantes et obtenir que soient punis ceux qui prétendent parler et débattre, comme il est naturel de le faire en démocratie.

L'antiracisme, on le sait, est une escroquerie politique imaginée par François Machiavel Mitterrand afin de diaboliser la droite. L'antiracisme est devenu un business juteux (le cas de Lilian Thuram). 

Si la parole, quelle que soit cette parole, se libère, c'est donc qu'elle était muselée. Par qui ? Un Carambar a celui qui trouve la bonne réponse. Je ne sache pas que beaucoup de procès en déviance langagière aient été ou soient intentés par Marine Le Pen, Éric Zemmour, Robert Ménard, Riposte Laïque, Christian Vanneste ou d'autres spécialistes de la langue bien pendue, tous fort nauséabonds au regard vigilant de la doxa antiraciste, antifasciste, citoyenne et bien-pensante.

Un type, on ne sait pourquoi, vivait depuis des années dans les égouts. Il en soulève soudain la plaque et arrondit les lèvres pour prononcer quelque chose. Il ne le dira jamais : fond sur lui un bataillon de vigilants casqués, rouleaux de sparadrap au poing. On le bâillonne. On ne sait ce qu'il allait dire, mais il allait le dire. Et ça n'aurait pas senti bon. Par « type vivant depuis des années dans les égouts », vous devez entendre « Français de souche » : un rat, un raciste. 

En dictature, il est toujours excellent que la parole se libère. En démocratie, c'est mal. Les gens y sont trop cons pour faire autre chose que de honteux amalgames. Ils sont incapables de distinguer entre ce qui relève du débat démocratique (les fameuses questions qui fâchent, sur l'immigration, l'islam) et l'insulte gratuite. Parler de l'islam, en parler sous l'aspect des problèmes sociétaux et culturels que sa présence implique ou risque d'impliquer pour des raisons démographiques, c'est du racisme — ni plus ni moins que de traiter de sale bougnoule ou de macaque un Noir qui n'en peut mais. Le procès intenté à Riposte Laïque par la LDH, la LICRA et le MRAP prouve que la « parole libérée » ne vole jamais longtemps ni haut : à peine murmurée, la voici remise au trou. Où la censure prophylactique ne peut s'exercer, la médecine judiciaire dispose de traitements variés et vigoureux pour soigner le patient atteint du syndrome de la liberté d'expression.
 
Ainsi donc la gauche est en France au pouvoir partout ou peu s'en faut, ses dogmes et interdits font la pluie au pays de Voltaire... malgré quoi la parole libérée menace ! Il reste trois loups en France, d'ailleurs apprivoisés, mais on hurle au loup au moindre craquement du plancher ou du buffet hérité de la grand-mère. Comprenne qui pourra.

En vérité, cette prétendue menace d'une « parole qui se libère » est un jeu de claquettes parfaitement orchestré. Il n'a pour dessein, toujours le même, que de diaboliser la droite même la plus fade, de la faire se sentir coupable du seul fait d'exister, de la contenir enfin dans son ghetto schizoïdique. Bien que matée, anesthésiée, surveillée nuit et jour, il importe toutefois que cette droite paraisse menaçante à l'occasion. On l'excite alors, ou bien on s'excite autour d'elle. Claude Guéant, en vantant la supériorité des civilisations qui respectent la vie, les femmes, la liberté et d'autres valeurs assez peu fascisantes, a ainsi déclenché un fort prévisible hourvari d'indignations. Un tel automatisme, une telle unanimité, relève moins de l'émotion véritable que du procédé. Alors que l'ex-ministre de l'Intérieur (il l'était encore à l'époque) n'a jamais proféré là que des évidences (de ces vérités qu'on appelle truismes, si peu contestables qu'il est vain de les énoncer), le voici convaincu de préparer la couche et les oreillers de la Bête Immonde du nazisme, et désigné comme une sorte de Goebbels à lunettes, ce qui est aussi grotesque que de soupçonner François Hollande de stalinisme. Cependant le message est passé, et le public en arrive, sinon à croire, à soupçonner que l'honnête et droit Guéant travaille pour le FN, donc pour Hitler. Plus c'est gros, plus ça passe, comme on dit.

Si, ces dernières années, jusqu'à l'élection de Hollande, la droite a détenu le pouvoir politique, c'est la gauche qui détient le pouvoir culturel, autrement plus puissant. La droite au pouvoir ne fait jamais que ce que la gauche veut bien qu'elle fasse. Cette droite que l'on prétend dominatrice ne domine guère, dans les faits — quand elle est au pouvoir —, que ses propres pieds, et encore, d'une faible hauteur. C'est la gauche qui tient la société et lui dicte ses lois. Si on se représente la vie politique en France sous la forme d'un échiquier autour duquel gauche et droite disputeraient une partie acharnée, on doit savoir que les Blancs et les Noirs sont agis par la seule main du joueur de gauche. Lorsque la droite veut jouer, elle demande quoi faire à son vis-à-vis, l'écoute puis joue, ou laisse carrément ce dernier déplacer les pièces à sa place, moitié flemme, moitié trouille gluante du mauvais coup, du célèbre dérapage.

Depuis une bonne quarantaine d'années (Mai 68, en gros), nous vivons sous le régime culturel hégémonique de la gauche. La gauche a décidé une fois pour toutes qu'elle représentait le Bien et que toute opposition à sa doxa figurait le Mal — le pire que l'on puisse envisager, avec les relents nauséabonds que vous devinez. Si tu es de droite, même la plus modérée, tu n'es pas un type qui pense différemment, et respectable comme tel : tu es un adversaire, un ennemi dangereux, un suppôt du Diable à svastika. À force de stigmatisations, on en arrive ainsi, lorsqu'on est de droite, à avoir honte de soi et à s'excuser d'être. 
 
C'est peu dire que Gramsci a gagné. La guerre de position (ou d'influence) qu'il prônait, préalable à la guerre de mouvement qu'il assignait comme but au marxisme contre le capitalisme, était la condition même de la lutte finale, le théorème parfait de ce parfait corollaire. Nous vivons bel et bien sous l'hégémonie culturelle de la gauche. Si vous en doutez, c'est que vous êtes de gauche, et donc de mauvaise foi, ou bien d'un crétinisme achevé — et je ne peux rien pour vous.

Que Gramsci ait gagné n'induit pas que sa victoire, écrasante, soit définitive. Avec lui, mais contre lui en fait, je pense que nous ne parviendrons à rien par la politique sans engager d'abord, et remporter, la guerre de position — celle des idées, des mots —, condition sine qua non de la reconquête envisagée. 
 
Comment y parvenir ? La contre-propagande, le raisonnement ? Oui et non. Plutôt non, d'ailleurs, que oui. Au petit jeu traditionnel de la dialectique, nous serons perdants à tous les coups. Je ne propose pas de convaincre, d'éduquer (ou de rééduquer) moins encore — mais de frapper. Nous passerons en revue dans le prochain billet quelques-unes des méthodes, toutes joyeuses, que vous pourrez ensuite utiliser au quotidien avez autant d'alacrité que d'efficacité. Vous n'aurez rien à potasser, rien à télécharger.

14 mai 2012

Ici la guerre : 1 - prémices

Avant d'être un animal politique (au sens général de πολῑτικός, l'homme au sein d'une société organisée et non livré à lui-même et aux lois de la jungle), l'homme est un animal tout court. Le plus civilisé, le plus exquis, le plus aimable des hommes possède toujours en lui un fond d'animalité. Sa nature primordiale et profonde est celle de l'animal en milieu hostile. J'en profite pour rappeler aux étourdis et aux bas du front que « primordial » ne signifie en aucun cas « important », mais « primitif », « qui se rapporte aux origines ». 

Ce serait faire à l'homme — ἄνθρωπος et non ἀνήρ, l'humain, pas le mâle — un fort méchant procès que de lui reprocher d'avoir conservé par-delà les siècles et la civilisation une chose aussi capitale que, par exemple, l'instinct de survie. Quoi qu'on en dise, l'homme moderne est d'une incroyable tolérance (version optimiste) ou d'une veulerie sans nom (version pessimiste). Lui fait-on les poches ? S'il ne sourit pas, il se plaint à peine. Lui donne-t-on un ordre qu'il réprouve intérieurement, il obtempère, se bornant à grogner dans sa barbe, quitte à se défouler plus tard sur un innocent (les femmes, les enfants et les animaux familiers servent à cela), en guise de représailles et de compensation. On le bouscule ? Il s'excuse d'être là. On le frappe ? Bien content d'être sauf, il réfléchit et s'efforce de comprendre son agresseur, s'échine à lui trouver des circonstances atténuantes (mélanodermie, précarité sociale...). On lui pique sa femme ? Il écarte les bras en signe d'impuissance et voûte le dos en s'éloignant des réalités amères de ce monde injuste. On le montre du doigt ? Il court se cacher, le rouge au front. On le traite publiquement d'imbécile ? Il rit comme un demeuré, feint de la trouver bien bonne.

Bref, si comme moi vous lisez la presse tous les jours et observez un peu votre environnement, jusqu'à vous observer vous-même dans vos manières un peu contraintes de réagir face à une offense réelle, vous établirez vite le constat que s'il y a beaucoup d'hommes en nombre, il y en a très peu en qualité. J'en profite pour avouer que je fais partie du nombre, à mon grand désarroi, car si j'ai la tête et le cœur à la guerre, je n'ai pas le bras très vaillant. Je ne suis pas moins qu'un autre le fruit d'une éducation dite chrétienne que je trouve avec le temps chaque jour plus délétère. Pour le dire tout net, j'en ai plein le cul d'être un brave homme et je rêve parfois d'être un homme brave, enfin — sinon un guerrier, un chevalier. Peut-être lis-je trop... 

Dans l'ensemble, tous, nous préférons la paix — la tranquillité — et les plaisirs à la guerre avec ses horreurs. La paix en ce sens est une aimable chose, mais cette paix dont je parle n'est pas la paix à tous prix des pacifistes, qui, lorsque vous leur lancez des briques, vous renvoient des fleurs et des poèmes. Nous ne ferions pas la guerre pour des broutilles, par excès de virilité ou de nerfs, mais la paix à n'importe quel prix, alors que la guerre nous a été déclarée, est aussi porteuse de sens et de vie, à mon avis, que de traverser la rue — dans les clous — en regardant avec indulgence, sans esquisser le moindre geste, le chauffard qui fonce vers vous à toute vitesse pour vous envoyer cueillir en enfer les pissenlits déracinés de votre funeste destin !

Sommes-nous en guerre ? Oui. L'avons-nous voulu ? Non. Pas directement. Nous l'avons voulu par bonté, cette bonté blême du chrétien réconcilié avec ses démons et pacifié, avec sa folie de croire à l'universalité de ses valeurs : compréhension, indulgence, compassion, humilité, pardon et, disons-le tout net, pacifisme bêlant. Nous avons voulu la guerre pour avoir renoncé à nos corps, par excès non de spiritualité, mais d'idéalisme. Nous avons voulu la guerre pour avoir interdit d'interdire, pour avoir abattu nos frontières tant morales et culturelles que, bien sûr, géographiques. Nous avons voulu la guerre pour avoir trop désiré une paix qui n'est pas du monde, ni de l'homme. Et cette paix, nous seuls la voulons — pas nos ennemis. 

On pouvait bien vouloir la paix en 39 et tout faire alors pour éviter la guerre. Sauf qu'en face l'ennemi avait un projet martial et un irrépressible désir d'expansion et de soumission des peuples. Dès lors que la guerre fut déclarée, ce n'était plus le temps de prêcher. On n'aime pas le feu, mais quand il y a le feu, il y a plus efficace que les lamentations et les poèmes de Paul Éluard pour vaincre les flammes. Il n'y a pas à tergiverser : faut se battre. Si nous perdons, au moins aurons-nous combattu. L'honneur sera sauf. Nous serons redevenus des hommes, au lieu de ces sinistres pantins empâtés et vaguement rigolards que je vois se perdre autour de moi dans un brouillard aux senteurs de pet.

C'est une chose que de prendre la mesure des faits, d'admettre enfin la réalité. C'en est une autre que d'y répondre adéquatement, sans se mettre au préalable à criailler et à courir en tous sens comme une pintade aux abois. L'instinct de survie chez la pintade existe non moins que chez les humains, sauf que l'intelligence lui fait hélas ! défaut. C'est bien de vouloir se tirer d'un mauvais pas, mais si on le fait en gigotant comme un malade alors que nous sommes pris dans les sables mouvants, nous n'arriverons qu'à précipiter notre perte. L'instinct de survie sans l'intelligence de survie ne sert pas plus qu'un arrosoir pour jouer du violon.

Cette sorte d'intelligence que requiert le combat, elle n'est pas donnée à tout le monde, aux intellectuels moins qu'aux gens un peu plus habitués qu'eux à trimbaler leurs bottes dans le fumier de la vie et à progresser dans les cloaques. Cependant les intellectuels ont un rôle à jouer du fait de leurs connaissances historiques, des leçons de l'histoire qu'ils sont censé avoir apprises et retenues. Ils peuvent sans doute voir plus loin que le combattant armé qui, lui, ne verra pas au-delà du canon de son fusil, parce qu'il vit dans l'instant, dans l'émotion de l'instant, dans la pure brutalité de l'instant, sans dessein, sans avenir. Je caricature volontairement pour bien marquer les rôles et mettre au net ce qu'on attend des acteurs. Untel sera le valet de chambre, un autre fera le marquis, un troisième le pendu dans la scène finale. On ne mélange pas les rôles et on les attribue en fonction des capacités propres à chacun.

Je focalise sur le rôle des intellectuels parce que cette drôle de guerre qui nous échoit est une guerre de plume et de babil avant toute chose, mais elle n'est pas que cela — et surtout elle n'est que le préambule d'une guerre véritable avec des macchabées et du vrai sang, une guerre que je pense inévitable à moyen terme et qui sera totale. Les intellectuels de notre camp ont pour mission, dans un premier temps, de faire savoir à l'ennemi qu'il est notre ennemi déclaré et que nous ne sommes pas déterminés à nous laisser intimider et que nous irons aussi loin que possible pour l'envoyer au tapis, lui faire mordre la poussière, l'abattre, physiquement au besoin. Ces intellectuels en pointe (et de pointe, si je pense à quelques figures connues que je me garderai de nommer) sont donc nos porte-étendards et nos éclaireurs et beaucoup plus que cela. Ils nous incitent par leur exemple et leur audace à l'ouvrir, à nous affirmer, à oser enfin dire et contredire, sans barguigner, avec force et discernement, avec violence si nécessaire (les pamphlets n'ont pas vocation à servir de torche-culs aux vagabonds diarrhéiques). Si, à l'exemple de... mettons G., encouragé par lui et convaincu par la pertinence de son propos, j'ose écrire enfin et rendre public ce que je me contentais jusque-là de confier à mon journal intime ou de murmurer en cercle très restreint, j'inciterai de la même manière H., qui me lira, à développer à son tour ses volutes et à piquer de la pointe aiguisée de sa plume le bedon de l'adversaire, sans craindre Dieu ni la foudre, parce qu'en vérité il n'y a rien à craindre : ce bedon n'est qu'un réservoir de merde, et à le percer on ne risque que d'être éclaboussé d'excréments. Ce qui est cherché ici, c'est l'effet boule de neige. Il faut des troupes pour combattre, car l'ennemi est nombreux. Ce n'est pas avec trois mousquetaires et un quatrième en embuscade que l'on gagne une bataille, ni a fortiori une guerre. Nous n'avons pas besoin non plus de ces dandys tout au romantisme et à l'esthétisme d'un combat à fleuret moucheté, avec banquet final, verre de l'amitié et filles à poil pour ébaudir l'assistance. Il nous faut donc grossir les troupes, inciter les silencieux à bruire enfin, délier la langue des muets. Il faut que, dans chaque village, dans chaque chaumière, le moindre talent prenne à son tour les armes (celles dont nous parlons, de salive et d'encre) et se batte à nos côtés pour rétablir l'équilibre des forces, car si nous sommes virtuellement en plus grand nombre que nos ennemis ne le pensent — eux pérorent beaucoup, nous nous taisons, et quand nous parlons, nous le faisons trop souvent avec l'air de nous excuser, ou peureusement, à la manière en certains points compréhensible d'un Richard Millet —, nous sommes trop faibles encore, trop peu audibles pour espérer renverser bientôt la tendance, remporter une première victoire (culturelle), avant la phase B, plus saignante, de notre projet de restauration.

Il sera question de méthodes et de stratégies dans une prochaine chronique.

12 mai 2012

Ludivine, émois...

Je ne l'aimais pas, au sens que je ne pensais jamais à elle avec tendresse. Nous n'étions l'un pour l'autre que des sexes. À l'époque, ça m'arrangeait. Elle n'était pas jolie non plus, se tenait mal et s'exprimait en avalant ses mots. Elle parlait le tchèque aussi bien que moi le français, pour avoir vécu à Prague quelques années, au sein d'une communauté d'artistes. Son ironie était cinglante.

Elle m'avait plu ainsi : son regard, l’œil pétillant, plus lubrique que coquin, et ses aisselles fournies qu'elle ne cachait nullement. Je la connaissais de vue, c'est vrai. Sa voix ne m'était pas étrangère. Jamais je n'aurais pensé à elle sous le rapport amoureux ou sexuel sans cette vision qu'elle m'offrit — et offrit à toutes les personnes présentes — un soir d'été à la terrasse d'un bistrot fort achalandé. Je vis cette femme qui discutait à trois tables de la mienne lever un bras soudain pour rejeter en arrière ses longs cheveux et révéler ce faisant un remarquable et fort affriolant bouquet noir. J'en fus saisi.

Je ne suis pas homme à me contenter d'emporter ma vision afin d'en jouir par l'imagination solitairement. Je fis ce qu'il fallait faire et le soir même nous étions dans son lit.

J'ai le souvenir d'une soirée, peu de temps après. Ludivine et moi dansions. Tout y passait, et nous transpirions fort. Plus tard, assis un peu à l'écart mais pas au bout du monde, nous sirotions nos bières et fumions tout en devisant à mi-voix. Nous étions assis côte à côte et pour dire le vrai, nous parlions de cul. Nous étions moites à tous égards, elle surtout dont les aisselles découvertes, humides, dégageaient un musc pour le moins capiteux. J'en respirais avec volupté les effluves. Chacun de ses mouvements propulsait vers mon nez ce terrible bouquet. Je dis « terrible », pensant à ces pauvres filles que la pensée de la moindre odeur intime horrifie et qui se jetteraient à l'eau plutôt que de consentir à puer un peu et d'être adorées pour ça. Moi, c'est ainsi, je préfère les femelles aux poupées. 

Ludivine savait. Elle ne détestait pas sentir ainsi. Elle mesurait son charme rare à son effet sur moi. Ça me rendait positivement fou. Fou, je suis joyeux, spirituel, plein de verve, tous les sens aiguisés. Surtout, je suis capable de demeurer coi, d'être patient, de jouir autant maintenant — par les sens, sans toucher à la chair — que plus tard, à l'heure de sombrer dans le stupre.

Le vocabulaire est chiche et les odeurs complexes, volatiles, nuancées même quand elles sont vigoureuses. Ce n'est pas tant une odeur que je voudrais décrire que l'atmosphère transfigurée, électrisée par ces bouffées dont les véhémentes vagues gonflaient mes naseaux, me procurant une sorte d'ivresse olfactive.

À quoi pensez-vous donc ? Ce n'était pas un relent aigre d'aisselles après une semaine de turbin sous le soleil dans une arrière-cour et sans douche, ce n'était pas encore le vieil oignon, si ça piquait, mais quelque chose de chaud, de sucré et de très épicé : cannelle et gingembre mêlés, cuberdon et clou de girofle. Ça me faisait au nez un effet similaire qu'au palais un vin de classe éventé : il est piqué, mais ça reste du vin, le vin qu'il fut, on perçoit encore malgré tout son cassis, ses fraises, ses mûres. Il se devine pleinement, tout débiné qu'il soit. Si j'osais, je dirais que je le goûte virtuellement mieux ainsi, semblable à ces visages de femmes vieillissantes qui nous émeuvent pour la jeunesse évanouie qui s'y reflète et que nous regarderions à peine s'ils retrouvaient cette jeunesse, ce lissé, ce terne éclat des choses qui souffrent de n'avoir pas vécu.

Bref, nous étions là, moi surtout. Je voulus humer à la source le feu, le soufre. Ludivine leva naturellement le bras et je gagnai du nez l'odorant sanctuaire de son aisselle. Je m'y perdis. Nous n'étions pas tant que ça à l'écart et j'en voyais qui nous zieutaient avec un mélange de gêne et de fascination. Je m'en souciais comme du temps des cerises, Ludivine itou. J'acquis ainsi et conservai auprès de certains, des mois durant, la réputation d'un sulfureux énergumène.

9 mai 2012

La solitude du sniper de fond

Nous, les blogueurs « politiques » — ou si vous préférez, simples observateurs du bordel politique ambiant —, sommes écœurés parfois par nos propres commentaires. À quoi ça sert ? À quoi bon perdre du temps à commenter encore l'actualité, ou pire, à commenter des commentaires sur l'actualité ? Ça change quoi ? Qui nous lit en dehors des compagnons de route ? Et parmi ces derniers, combien nous lisent vraiment, sans utiliser la diagonale du fourbe ? N'est-il pas vaniteux de prétendre changer au monde quoi que ce soit via des écrits dispersés dans cette bulle atomisée qu'est la blogosphère ?

Ce sont des questions. Je peux y répondre. 

En ce qui me concerne, la prétention de changer quoi que ce soit, d'être à ma ridicule échelle un faiseur d'opinions, n'existe tout simplement pas. Je pense même me fiche à peu près d'être suivi ou commenté. Je sais plus ou moins qui me lit, et ce sont des amis, des potes. Ils ne me contrediront pas, sinon sur des points de détail. S'ils n'opinent pas sous la forme d'un commentaire encourageant, ils opinent par leur silence même. « C'est encore un bon billet, pensent-ils, bien torché, mais rien non plus de particulièrement saillant. Allons en boire une autre chez Albert ! » La bière a le même goût chez moi que chez Albert, et seule la fraîcheur de la première gorgée nous trompe sur la qualité — worse or better — de l'enseigne.

Je ne pense à personne lorsque j'écris. Je ne cherche pas à conforter dans ses opinions un lectorat volatile et toujours plus pressé (d'aller voir ailleurs ce qui s'y dit, des fois que... !). Je ne cherche pas non plus à être plus original que je ne suis, à me distinguer, à choquer. Je me borne à dire ce que je pense, comme je le pense, en soignant la forme et peut-être le fond. Je ne suis en aucun cas un expert. Je suis au mieux un spectateur, plutôt calme avec ça. 

J'ai l'âge de mon expérience et l'expérience de mon âge. J'ai quelques idées et des opinions, comme tout le monde. Je n'appartiens à aucune famille au sens blogosphérique du terme. Bien sûr, je suis plutôt apparenté à la réacosphère — sans me soucier du label « officiel ». Je tiens à mes amis, fort peu à ma famille. Et c'est ainsi dans ma vraie vie aussi. Je suis un solitaire par goût et volonté. Je veux bien m'associer, non adhérer. Je suis assis quelque part, pas forcément en hauteur, mais en léger retrait, et j'observe du mieux que je peux. Je sais ce que je fais là, je n'y suis pas par hasard.

Le blogueur a cet avantage sur le journaliste qu'il n'a de comptes à rendre à personne. Ni chefs, ni publicistes ne font la ronde. On ne risque pas de lui dire, avec le « bienveillant » sourire de circonstance : « C'est très bien ce que vous avez écrit là, mon p'tit Paul, vraiment très bien, mais nous ne pouvons publier ça : nos lecteurs ne nous le pardonneraient pas. » C'est tout le problème des gazettes généralistes : ne surtout pas heurter la sensibilité du lecteur, crainte qu'il ne fasse un ictus, un infarctus, ne se désabonne et fasse chuter les recettes publicitaires. L'objectif de ces gazettes semble en effet moins d'informer que de mettre en vitrine, entre deux articles pâles, un sac Vuitton ou un cardigan Burberry, des choses de ce genre. Indépendant, le blogueur n'a donc pas le souci de récrire cent fois son texte afin d'en adoucir les aspérités, histoire qu'il paraisse avoir été écrit par n'importe qui pour ne choquer personne. 

Cette indépendance du blogueur a son revers, qui est la faible audience. Le groupuscule qu'il représente ne compte pour rien. La grande armée des médias officiels dévore tout. Le journaliste, parce qu'il est journaliste, peut toujours exhiber son accréditation. Il est ce qu'il est, considéré, admiré et craint comme tel moins par talent que par visa. Le blogueur, aussi talentueux et pertinent soit-il, ne possède rien qu'il puisse brandir au nez du quidam pour lui river son clou. BHL peut écrire des conneries : c'est BHL, total respect — ou si ce n'est pas lui, c'est tout de même quelqu'un, donc son avis vaut cent fois, mille fois celui de l'infortuné blogueur écrivant depuis sa mansarde à Pont-de-Chéruy. Éric Zemmour ferait du Zemmour incognito sur un blog sous le nom de René Chapelier ou Rock'Mitaine qu'il serait tout autant méprisé que moi par ceux du sérail médiatique. Ce serait pourtant Zemmour (ou Marc Cohen, ou Élisabeth Lévy, ou Christophe Barbier). Oui, mais non. Quel cirque !

L'atrabilaire mais talentueux Georges tombe dans le panneau dans son récent article In seinem Armen das Kind war tot ! C'est peu dire qu'il conchie les blogueurs, lui qui en est un pourtant. Il leur jette Goethe à la figure, tel un seau de purin chaud. Mais que peut-on répondre à Goethe ? Rien. Il est mort, nous vivants. Nous sommes hélas ! vivants. Nous sommes culs, aisselles, pieds, boyaux et comédons. Goethe embaume dans son éternité, c'était un crack. On peut lui prêter tous les jugements du monde sur notre temps, sur nos mœurs, sur nos blogs : il ne risque pas de démentir via un tweet, de désavouer Georges ou de le « tacler », comme c'est la mode désormais de dire et d'écrire. On est obligé de le croire et de baisser pudiquement les yeux, puisque c'est Goethe. Nous sommes médiocres à cause de Goethe, c'est cela que Georges nous assène enfin, histoire de nous faire honte, de nous rabattre le caquet. Cependant, lui, Georges, parce qu'il peut citer Goethe dans le texte, se met de facto à part — blogueur d'élite, quoi ! Il est un crabe tout autant que les autres blogueurs, mais en dehors du panier — crabe d'élite, quoi !

Georges prête aux blogueurs une vanité qu'ils n'ont pas toujours ni forcément. Il feint de croire que le blogueur n'est qu'un blogueur, que son existence en dehors du blog est mince, chétive, compliquée de sordides rancunes et grêlée de vérole. C'est vrai sans doute pour quelques-uns, dont les blogs chargés de fiel et d'électricité sont des poignards de plastique que leurs auteurs enfoncent dans les chairs imputrescibles de mannequins hors d'atteinte. Je ne lis pas ces blogs-là. Ceux que je lis sont plutôt bien tenus, au moins sous le rapport de la langue, de la qualité d'expression. Leurs auteurs en écrivant ne se prennent pas plus pour Goethe ou Balzac que moi pour Usain Bolt lorsque je cours pour attraper mon bus, ou pour Caruso quand je me mets à chanter sous ma douche. Ce n'est pas parce qu'on respecte au moins la forme ou qu'on a le souci de la correction langagière, qu'on se prend obligatoirement pour qui on n'est pas. Bien des blogueurs, au vrai, ont infiniment plus de réel talent que certains auteurs publiés et encensés. Mais ils ont tort et ça ne compte pas, puisqu'ils sont inconnus. Et s'ils cherchent à se faire connaître, on trouvera toujours des Georges pour les ramener à leur médiocrité intrinsèque, à coups de trique s'il le faut, sinon par des injures et des sarcasmes. Sous le règne des Georges, nul n'a le droit de quitter sa bauge, ni de grandir. Pour des gens comme lui, un Goethe au berceau était déjà Goethe, comme Minerve la guerrière, jaillie du crâne fendu de Jupiter. Il n'a rien pu devenir et n'a rien dû apprendre, puisqu'il était déjà Goethe von A bis Z. Nous n'avons pas cette chance évidemment, sauf d'être d'éternels poux, avec des pensées et des mœurs de poux. 

À quoi sert donc un blog tel que le mien ? À rien (sans jeu de mots). Rien de ce qui s'écrit ici ne vaut qu'on ameute le public. Je n'ai pas de messages à faire passer. Je n'ai rien à vendre, mais beaucoup à donner. Du plaisir, j'espère. Rien de tonitruant, quelque chose comme ce plaisir un peu falot qu'on éprouve à discuter autour d'un verre un soir d'été, tandis que la phalène têtue heurte le globe de verre du lampadaire et que les dernières olives de l'apéro sèchent dans leur bol. De la réflexion aussi, rien de très douloureux cependant pour le crâne : le point de vue un peu décalé, légèrement détaché, d'un homme qui ne sait pas tout mais observe beaucoup, sent le monde en quelques-unes de ses bizarreries, réfléchit parfois ; d'un homme attentif aux bruits de fond et qui s'efforce de capter les interférences, de relier des phénomènes divers et de les faire converger vers la grande catastrophe qu'il pressent, le cataclysme ultime du vieil homme blanc, le lent mais invincible effondrement des pièces du jeu qui fut celui, des siècles durant, des hommes civilisés. S'il est triste parfois, navré d'être ce témoin à bord du navire condamné, et si la rage enflamme ses tripes à l'occasion, il n'en poursuit pas moins sa partie entamée de croquet. Si le soleil doit s'éteindre, il s'éteindra, que je dorme ou me démène.

Le plaisir... Celui que j'espère donner, celui que je prends avant tout à écrire. Je n'ai que ce talent-là, tout maigre et partant fort précieux. J'en use, j'en abuse — conformément d'ailleurs au rôle qui céans m'est échu.

7 mai 2012

Bastille, 6 mai 2012

Reportage à chaud de mon ami Nico de Montreuil sur Facebook hier soir, publié avec son autorisation.

* * *
 
Bastille, ce soir. Sur le quai du métro, déjà des cris. Nous croisons un groupe d’Africains qui monte en vitesse dans la rame en criant : « Sarko en prison ! ». La progression dans le couloir est très difficile, l’ambiance électrique. Les agents de la RAPT sont sur le côté, nerveux. Un Beur les nargue : « M’sieur, m’sieur, mon pote, il a pas de ticket ! Vous faites rien ? ». Sourires crispés. C'est le genre de fête qu'on craint de ne plus parvenir à maîtriser. Un homme en bonnet phrygien s’adresse aux CRS en prononçant le nom de Sarkozy. Le CRS n’a pas compris, lui demande de répéter, pour s’assurer qu’il ne vient pas de se foutre de sa gueule. Il vient de le faire certainement, mais que faire dans ce chaos ?

Nous sortons enfin. La foule est très diverse. Je réalise alors que je n’ai aucune chance d’approcher la colonne de la Bastille. J'espérais prendre de belles photos des drapeaux algériens et autres que vous avez tous vus à la télé.

La grande majorité des drapeaux sont partisans : drapeaux rouges du Front de gauche-PCF, Verts, PS. Viennent ensuite les drapeaux communautaires : pays d’origine des immigrés, drapeaux multicolores, puis ceux de l’UE. Enfin, il y a les drapeaux français tenus par des Blancs, mais aussi par des « issus de ».

Surprise, j’entends une Marseillaise assez véhémente. Je m’approche. Un groupe de jeunes gens pas vraiment vêtus comme des gauchistes. Ils crient : — « Vive la France ! » de toute leurs forces. Ces sont des FN ou des UMP, venu prendre une revanche symbolique, en se faisant passer pour des socialos. J’en croiserai d’autres dans la foule, aisément reconnaissables, car ils observent attentivement ce qui se passe autour d'eux. Je m’approche un peu de la scène. La chanteuse Anaïs. On n’entend rien, pas une note. La sono est insuffisante. Je déteste cet endroit, cette foule, le bordel qui règne partout dans une ambiance Barbès. Et surtout cette haine qui partout s’étale, victorieuse, indécente ; on ne compte plus les slogans anti-Sarko, particulièrement venant des Blacks-Beurs : « Casse-toi pov’con », « Naboléon. »

Soudain, une clameur. Martine Aubry apparaît à l’écran. De l’endroit où je me trouve, on n’entend toujours rien. Les blagues désobligeantes sur son physique fusent.

Je me souviens, cinq ans auparavant, place de la Concorde. La foule joyeuse, calme, qui commence tranquillement à huer les socialistes, et Sarkozy qui les arrête au nom du respect dû aux électeurs, et la foule qui se tait, aussitôt. Je me souviens de la foule fervente et tranquille du Front National, l’autre jour.

Quel contraste avec le déchaînement de haine de ce soir ! Je n’avais pas besoin qu’on me le démontre, mais c’est toujours impressionnant de le constater : la gauche, si convaincue d’incarner le Bien, n’aime rien tant que crier sa haine contre le Mal.

J’en ai ma claque de cet endroit. Et je ne parviens pas à prendre de bonnes photos, trop de mouvements partout. Il me faudra encore une demi-heure pour sortir de la foule. Je suis au-delà de l’écœurement. Nous sommes en France, le jour de la plus grande élection, et personne autour de moi n’a l’air étonné de voir des drapeaux étrangers. On a honte pour les leaders du PS qui s’expriment et dont je vois les visages sur l’écran derrière moi. Oui, il y avait Chirac en 2002, mais ils pouvaient dire alors qu’il y avait un « contexte » particulier. Maintenant, c’est simplement une habitude.

Je quitte la place au son des tam-tams. Une groupe devant moi scande : « On va s’ma-rier ! » sur l’air de « On a ga-gné ! » Plus tard : « Sarko, t’es foutu, les pédés sont dans la rue ! » Les passants sourient. Dans un café, des Arabes d’âges mûrs, assis, écoutent, l’air sombre. Ils n’aiment visiblement pas ce genre de provocations. On dirait qu’ils pensent : « Quant nous serons majoritaires, il faudra remettre de l’ordre ici. »

Les lendemains de fête risquent d’être rudes.

6 mai 2012

Cette France qu'on assassine

Certains faits divers dégagent chez moi une charge émotive particulière. Ils me rendent infiniment triste. J'en pleurerais parfois, comme d'assister impuissant à l'effondrement d'une cathédrale.

Roger Brioult avait 90 ans et était invalide. Cet historien de l'automobile, spécialiste de la marque Citroën, avait publié plus d'un livre sur sa passion. Collectionneur, il possédait la dernière 2 CV commercialisée en France et assemblée dans les usines de Levallois-Perret. Il l'avait commandée dès 1974 et réceptionnée le 23 mars 1988. Il ne l'avait jamais conduite. D'ailleurs, il ne l'avait pas immatriculée. C'était le joyau de sa collection. Inutile de vous rappeler en quoi la Deuche est le symbole populaire par excellence d'une France que d'aucuns prétendent moisie. Et quoi de plus symbolique que le dernier exemplaire produit d'un symbole ?

Dans le courant du mois de mars, Jeanine, 95 ans, l'épouse de Roger Brioult, constatait le vol de la 2 CV et portait plainte. Aucun autre véhicule, tous de collection, n'avait été volé. La Deux-Pattes de Roger Brioult était estimée à 110.000 €. Invendable, évidemment. Le véhicule n'a bien sûr pas été volé pour commettre un larcin. Quelle piste alors ? Celle d'un collectionneur jaloux qui aurait voulu cette voiture pour lui tout seul ? Ce n'est pas tellement le genre dans ce milieu. 

Le 24 mars, une semaine après le vol de sa voiture fétiche, Roger Brioult, très affecté, mourait. Vous me direz qu'il se passe dans le monde des événements plus dramatiques que la mort d'un nonagénaire suite au vol d'une de ses voitures, fût-elle de collection. Bien sûr. Je ne suis pas en train de comparer la mort de ce monsieur avec celles des victimes d'Hiroshima. Restons dans le symbole. Avec la 4L de chez Renault dans une moindre mesure, la Deuche a symbolisé des décennies durant une France rurale, jeune et joyeuse. Des paysans l'ont malmenée sur des chemins noueux (elle avait été conçue pour ça). Des jeunes par dizaines de milliers l'ont acquise comme premier véhicule (son faible coût, son allure sympa). Des babas cool en mal de fleurs et de paix l'ont décorée façon champêtre. Tous, nous en avons vu par centaines sur les routes, de tous les âges, de toutes les couleurs et dans tous les états. Si nous ne l'avons pas conduite, au moins avons-nous été tous une fois passager dans ce véhicule à la suspension clownesque. Qui, aujourd'hui, apercevant une 2 CV, ne sourit pas spontanément, comme à l'apparition de notre grand-mère avec un panier de confitures et une brassée de fleurs fraîchement coupées ? Qui la 2 CV n'émeut-elle jamais pour ce qu'elle représente : la France de notre jeunesse, rurale, insouciante et astucieuse ?

Ce faits divers, lorsque je l'ai découvert, m'avait ému... pour le monsieur dont le vol de sa voiture avait hâté le trépas, pour son épouse, pour le symbole enfin. Hier, je tombe sur la nouvelle qu'on a retrouvé la fameuse 2 CV ce jeudi 3 mai à La Roussière, dans l’Eure... calcinée... 

Pourquoi ont-ils fait ça ? C'est quoi le but ? Quel est le gain ?

Vous ne voyez pas ? Moi, je vois très bien. 

Qui vole un œuf vole un bœuf. Qui détruit aujourd'hui l'un des symboles sympathiques et populaires de la France détruira demain, pour la même absence apparente de raison, Reims, Chartres, Vézelay, Versailles — et détruira tout en France qui rappellera la France chère à nos cœurs, et le fera sans sourciller, avec une joie mauvaise, par crapulerie pure, barbarie, par haine

Roger et Jeanine Brioult avec la Deuche


Articles de presse relatifs à cette affaire :



NOTE — Je lis ce matin dans Le Parisien (*) que des voleurs ont dérobé au domicile du compositeur Charles Dumont des souvenirs personnels qu'il conservait d’Édith Piaf... Édith Piaf... Vous en faut-il encore, du symbole de cette France en allée et que sans cesse ils dépècent ?

3 mai 2012

Donald Duck et le roi Lion

J'ai certes un préjugé assez peu favorable envers le candidat socialiste, sans être un aficionado du président sortant. J'ai regardé le débat d'hier sans rien attendre de neuf sur le plan des projets. Ni l'un ni l'autre des prétendants n'allaient évidemment nous sortir de sa boîte magique un quelconque sésame pour des lendemains qui chantent. Ils étaient comme deux coqs se disputant la suprématie sur la basse-cour. J'attendais que le coq élyséen cogne et démolisse le béjaune hollandais. J'attendais de voir les plumes voler et battre en retraite l'inexpérimenté coquelet corrézien. Je l'ai surtout vu s'étrangler, entendu piauler. Sarkozy n'a pas démoli son adversaire, mais il l'a bien rossé tout de même par endroits. En tous cas, je l'ai trouvé ferme et consistant.

À lire les réactions ce matin, je me demande si certains ont vu le même débat que moi. Hollande aurait gagné selon le clan de gauche. Mélenchon nous apprend que « Hollande a plié Sarkozy en quatre ». Je pense qu'il s'est endormi pendant le débat et a beaucoup rêvé. Les éditorialistes refusent de décerner le pompon à aucun des protagonistes. À droite, le chef a bien parlé.
 
J'ai regardé ce débat en essayant de me placer dans la peau d'un électeur déterminé à choisir un vrai chef pour les cinq prochaines années, dans un contexte de crise nationale (identitaire) et internationale (financière). Un chef, n'est-ce pas, c'est un homme qui saura prendre les décisions que la situation impose. Si son état-major se déchire sur la décision à prendre et/ou quant aux modalités de l'action à mener, il tranchera dans le vif, sans états d'âme. Si demain un déséquilibré balance une grenade dégoupillée dans son bureau, il ne convoquera pas une commission ad hoc afin de savoir quelle attitude observer. En cas de conflit, de tensions internationales, il fera preuve d'autorité et non de compassion. Toujours, pour lui, primera l'intérêt de son pays. Les décisions qu'il sera amené à prendre ne répondront pas forcément à une grille idéologique. S'il doit être constant, il ne sera pas borné. Il sera donc pragmatique et non dogmatique. Ce côté girouette que j'ai entendu Hollande reprocher à Sarkozy est justement un effet de ce pragmatisme. Sarkozy peut avoir été ou être encore, à titre personnel, pour que les étrangers puissent voter lors de scrutins locaux (sous certaines conditions et sous réserve de réciprocité de la part des pays d'où ils proviennent), et ne plus l'être en tant que président, pour avoir compris que ce ne pouvait être là une heureuse perspective dans le contexte de crise identitaire que nous connaissons, avec au surplus un Front National à 18%.

Analysons un peu les attitudes. Nous avions d'un côté, à gauche, un Hollande décidément raide, mal assis, le buste vers l'arrière, comme qui cherche à esquiver des coups. On a pu le voir à maintes reprises modifier sa posture, comme s'il se rappelait soudain les directives de son coach. Il ne s'est jamais retiré par contre le parapluie qu'il s'était enfoncé dans le cul avant de pénétrer dans le studio. Je l'ai trouvé aussi peu naturel que possible, tout boursouflé d'une dignité d'emprunt. Un homme gourmé et boutonné.
 
À droite, Sarkozy, quand il ne gesticulait pas, avec ces frénétiques et bizarres mouvements des épaules qu'on lui connaît, se tenait la plupart du temps vers l'avant, à l'offensive donc. C'était frappant. Certes, il ne m'a pas échappé qu'il cherchait sans cesse l'approbation des journalistes. Certains commentateurs interprètent cette attitude comme celle d'un homme peu confiant. Je ne suis pas de cet avis. Quoi de plus naturel en pareil cas de prendre à témoin les personnes présentes, même si leur rôle est de demeurer neutres ? Hollande, lui, n'a jamais eu le moindre regard pour les journalistes. Il les a ignorés d'un bout à l'autre du débat. Et savez-vous pourquoi ? Parce que Hollande, qui récitait une leçon de toute évidence apprise, ne voulait pas être perturbé par d'autres regards que celui de son adversaire. On lui avait recommandé de soutenir le regard de Sarkozy et c'était bien assez pour lui. Il y est parvenu, mais ce regard était d'un caniche peureux, d'un tendre cabot tout désolé qu'on ne prenne pas trop au sérieux ses grands airs républicains, tout marri qu'on ne veuille pas au moins lui accorder le bénéfice de la gentillesse et de la bienveillance. Avez-vous comme moi observé cet œil gelatineux ? Avez-vous vu là l’œil d'un aigle ou celui d'une morue depuis trois jours à l'étalage d'un poissonnier ? Que le candidat socialiste ait moins le physique d'un guerrier que celui d'un bourgeois sortant de table après avoir un peu trop bâfré est une chose. L'apparence dit beaucoup, mais elle ne dit pas tout. On peut être rond au physique et pointu au mental. On peut avoir une tête de chien et une bravoure de lion. On peut n'avoir l'air de rien et être quelqu'un. Que le futur chef de l'état ait l'œil aussi peu vif et dénué de toute intelligence est une disgrâce et un ridicule pour le pays qu'il pourrait gouverner.

Attitudes, gestuelle, regards... et voix ! Hollande n'a rien pour lui décidément. Une voix de canard cuit, ai-je spontanément pensé. Comment, nanti d'une voix aussi désagréable, peut-il espérer séduire ou convaincre ? Hollande ne sait que piailler. Il s'exprime comme si on lui avait marché sur la queue, comme si on lui tenait la couille entre les mâchoires d'une pince. La voix d'un homme qui ne crie jamais, n'impose jamais ses vues. La voix de qui s'alarme d'un rien, craint son ombre. La voix de qui vous voudrez, sauf celle d'un chef. Or, c'est un chef que les Français éliront dimanche et pas le président du comité des fêtes. Ce chef sera pour cinq ans amené à diriger la France (et non une chorale de vieilles filles), à défendre ses intérêts partout dans le monde, à lui conserver son rang et un prestige déjà bien mal en point. Il lui faudra croiser le fer parfois avec les chefs d'autres puissances : Merkel, Obama, Hu Jintao, Poutine, etc. Vous imaginez Hollande en face de Poutine ? Vous l'imaginez dire et redire Niet ! à Poutine, en russe dans le texte, le regard planté dans le sien, le poing heurtant la table ? Vous le voyez cherchant à convaincre le Chinois hilare de réévaluer le yuan ? Si oui, alors vous avez une imagination puissante et un sens aigu du comique de situation. 

J'ai essayé tout au long du débat de juger les protagonistes en me plaçant dans la perspective d'un chef à élire tout en me glissant dans la peau d'un électeur hésitant. Entre le chef actuel et son challenger, il n'y a qu'un choix possible si on pense à la France et non à la sympathie ou à la répulsion qu'inspire le visage ou les manières d'un des candidats. Ce choix, c'est Sarkozy. Hollande, qui se sait peu inspirant, peu susceptible de soulever l'enthousiasme des foules et dont le programme est extrait, sans dépoussiérage, des fonds patrimoniaux du socialisme, a axé toute sa campagne sur le rejet de Sarkozy. Il a moins défendu son projet que pilonné le bilan de son éventuel futur prédécesseur. Quoi que Hollande et ses sbires disent, s'il y a rejet du bonhomme Sarkozy, sa politique n'a pas été tellement que ça rejetée. Pour un président que tout le monde déteste, réaliser un score de 27,18% lors du premier tour est une prouesse. C'est 4% tout juste de moins que son score de 2007, mais c'est 1,31% de plus que Ségolène Royal la même année, une Ségolène Royal pour qui bien du monde s'était enflammé, assez mystiquement d'ailleurs, et qui avait fait chou blanc. La droite n'est pas non plus rejetée, puisqu'elle s'est renforcée en cinq ans (46,87% contre 45%). Les électeurs perdus de Sarkozy en 2012 ne se sont pas détournés de la droite, bien au contraire. Ceux-là n'ont donc pas jugé que Sarkozy en avait fait trop (dans l'exclusion, la haine et toutes les simagrées pseudo-fascisantes qu'on lui reproche), mais qu'il n'en avait pas fait assez — d'où le succès de Marine le Pen au premier tour. Ces électeurs-là ne sont tout de même pas idiots pour passer des bras de fer de Le Pen à ceux de caoutchouc de Hollande. Ce sont des gens qui aimeraient davantage d'autorité, de poigne. Ils veulent au sommet de l'état un ours, pas un lapin. Ils voteront Sarkozy, s'ils ne s'abstiennent pas.

J'ai beaucoup ri hier quand Hollande a récité sa fable de la grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf : Moi président de la République, etc. Quinze fois, qu'il nous a martelé ça ! Il enflait à mesure. On aurait dit un petit garçon essayant de se convaincre qu'il serait John Wayne si sa maman voulait bien lui offrir un pistolet à eau. Avec ça, il en dégommerait, des Apaches ! Le gros effet de rhétorique, la belle anaphore bleue ! Si encore ça lui était venu spontanément ! Le lyrisme peut être sincère. Là, c'était préparé et mimé. Un mauvais acteur récitait sans y croire une tirade digne de Guignol. J'ai cru que le régisseur allait lancer la fameuse chanson de Gérard Lenorman (Si j'étais président) et que tout le staff socialiste allait débouler dans le studio avec des sourires fendus jusqu'aux oreilles, frappant dans leurs mains, reprenant tous en chœur le refrain — que dis-je ! l'hymne hollandais. Franchement, non. Assez de salades. 
 
La veille de ce débat, Sarkozy grignotait un peu de son retard. Hollande était encore toutefois donné vainqueur avec une belle avance (53% contre 47%). Pour les spécialistes, les jeux étaient et restent faits. En effet, jamais on n'a vu un candidat refaire en trois jours un tel handicap. Le débat, sauf explosion en vol du candidat en tête, ne permettrait pas à l'autre de combler son retard. Si j'ai trouvé Hollande médiocre et ridicule, il ne l'a pas été d'une manière saignante. Il s'est débattu, il a geint. Il n'a pas fait sous lui. Sarkozy lui a mis des baffes là où moi j'aurais frappé à mort. Hollande a été agressif, lis-je. Nenni : il a couiné, c'est tout. 
 
Dimanche soir, à vingt heures, le nom du vainqueur sera connu. Je vous avais donné mon pronostic final au soir du premier tour : Hollande, d'une courte tête. Je vous avais promis mon pronostic définitif pour après le débat. Nous y sommes. Alors quoi ?

Une évidence pour commencer : je ne crois pas que Sarkozy puisse perdre avec six points d'écart dans une France qui penche toujours plus à droite. S'il perd, ce sera de peu, et ce ne sera pas un triomphe du clown corrézien. Enfin, j'ai beau me pincer, je n'arrive pas à envisager Hollande président de la République ailleurs que dans ses rêves humides et roses. Il va se passer quelque chose dimanche. Sarkozy, contre toute attente, va l'emporter, d'une très courte tête. Je n'y crois pas dur comme fer, c'est un vœu pieux sans doute, mais je sens que les flonflons ne retentiront pas là où on les attend. Le Diable va frapper. La vie en rose sera une fois de plus remise aux calendes grecques.

Si Sarkozy perd, je ne serai pas plus triste que ça, vu qu'il n'était pas mon candidat au premier tour. Je serais déçu pour la France qui mérite mieux que l'avatar de Pantalon à sa tête, et désolé pour quelques amis. Je me reprendrais bien vite à la perspective goulue des inévitables et rapides déboires de Flanby et associés. Nous ne serions plus alors dans la fiction (Si j'étais président), mais dans la dure réalité (Vaisselle cassée).

Je n'ai pas tout dit.

Si je vois Sarkozy l'emporter dimanche, je vois aussi la majorité perdre aux législatives de juin et Sarkozy obligé de gouverner cinq ans durant avec les socialistes. 
 
Je suis vicieux, je sais.

1 mai 2012

Résoudre ce choix cornélien

Imaginons... Vous devez vous rendre en voiture de Lille à Nice, vous ne conduisez personnellement pas et seuls deux chauffeurs sont disponibles. Le premier est du genre casse-cou, il aime faire crisser les pneus et chérit l'accélérateur plus que tout. Le second conducteur est au contraire calme, tellement d'ailleurs qu'il s'endort au volant, bercé par sa conduite. Vous êtes sur le point d'appeler l'un de ces deux chauffeurs pour qu'il vous conduise de Lille à Nice, mais vous ne parvenez pas à choisir. En fait, vous avez peur. La question que vous vous posez est de savoir lequel de ces deux conducteurs réduira le risque d'accident. À mon avis, le risque d'accident est moins élevé avec le chauffeur énervé qu'avec celui qui s'endort presque compulsivement. Donc, je décroche mon téléphone et je choisis Nicolas Sarkozy.