La présente campagne électorale emmerde Daniel Cohn-Bendit (*). On le conçoit d'autant mieux que la candidate de son camp patine. Elle patine d'ailleurs si mal qu'elle s'est envoyée toute seule au tapis récemment.
Les jeux semblent faits pour la sélection des deux finalistes. La campagne en pâtit forcément. On rêverait d'une lutte à quatre et au couteau. On voudrait, jusqu'au dernier moment, ne pas être certain du nom d'un seul des deux qui demeureront en lice. On aimerait pouvoir conjecturer tant et plus. On souhaiterait, pour la castagne et le joli foutoir, voir s'opposer au second tour Le Pen et Mélenchon. Au lieu de ça, un plat de nouilles au raifort, Hollande contre Sarkozy.
La campagne n'est emmerdante que si on limite son intérêt au duel final. Lors d'une course cycliste, si le nom du vainqueur est important, qu'il surprenne ou non les spécialistes et le public, les faits de course le sont tout autant pour le passionné de péripéties et le stratège. Si je porte mon regard au-delà de l'élection proprement dite, sur ses conséquences internationales et nationales, si je pense au nouvel échiquier politique français, je ne trouve que des motifs d'excitation dans cette campagne.
Considérons le duel attendu et une victoire même étriquée de Sarkozy. Ne serait-ce pas là extraordinaire ? Cet homme dont on a si longtemps célébré déjà les funérailles sous les sarcasmes et les quolibets, cet homme qui, jusque tout récemment, était bien le seul à croire possible sa réélection, s'il remportait la mise, ce serait une belle nique au destin et une colossale fessée au candidat « normal », qui s'y voyait déjà. Son second et ultime quinquennat serait celui d'un homme fort et conforté. Sarkozy pourrait bien alors marquer l'histoire, surtout s'il impose en Europe la grosse voix de la France, comme sut toujours le faire un certain général.
Hollande gagnerait, ce ne serait pas une surprise. Ce serait plutôt, très vite, sinon un cauchemar pour ceux qui auraient cru ce bourgeois blagueur capable de « réenchanter le rêve français », une désillusion. Sur le plan national, peu de bouleversements à prévoir en dehors de nouveaux droits pour les minorités sexuelles. Il y aurait plus de dépenses que de rentrées sur le plan financier, et plus d'entrées que de sorties sur le plan migratoire ! Seul un fou peut croire que Hollande puisse faire entendre le point de vue français en Europe. Il y serait ridicule et de faible audience. Cet homme ne peut rien décider seul. Toute décision chez lui est prise après consultation du fils, du cousin, de l'oncle, de la voisine Andrée et de tout passant éventuel. De tout cela il fait une synthèse dont le but n'est pas de trancher, mais de ménager les susceptibilités. Imaginons Lionel Messi, au moment crucial de marquer le but qui enverra son équipe au septième ciel ou en enfer s'il rate sa cible, suspendant son action et consultant ses équipiers, le public, le corps arbitral, ses adversaires peut-être, et ce dans l'unique souci de froisser le moins de monde possible ! Les qualités d'un diplomate ne font pas celles d'un chef de l'état. C'est un grand cerf dont la France a besoin, non un veau aux babines dégoulinantes de lait maternel.
Hollande gagnerait, il gagnerait différemment selon qu'il serait à 30% au premier tour et Mélenchon à 10%, que s'il gagnait en bouclant le premier tour à 25% avec un Mélenchon à 15%, c'est-à-dire en position de force pour les négociations gouvernementales et les législatives à suivre. Si Hollande est capable de sacrifier le nucléaire pour un accord préélectoral avec des Verts à 3%, comment croire qu'il pourra résister aux coups et menaces que ne manquera pas de lui asséner un Mélenchon en costume flambant vieux de nouveau Robespierre ?
Les enjeux de cette élection sont colossaux à tous égards, si bien que la campagne, emmerdante par certains aspects, devient passionnante si on cherche à mesurer ses conséquences politiques. Une défaite de Sarkozy à la présidentielle, suivie d'une prévisible casquette aux législatives de juin, induirait un triomphe absolu, à tous les niveaux du pouvoir, de la gauche — une première dans l'histoire déjà bien longue de cette République, cinquième du nom. L'UMP, qui n'est pas un parti mais un conglomérat de sensibilités allant du centre aux confins de la droite (tandis que le PS est un vrai parti, d'ailleurs monolithique), se débanderait sans doute et se recomposerait autour, peut-être, du FN, surtout si le président sortant prend la volée historique que les sondages actuels pour le second tour lui promettent et à condition que Marine Le Pen fasse un score un peu plus que honorable, entre 18 et 20%, dirons-nous (où, personnellement, je la situe). On se retrouverait alors avec deux droites, comme au temps du RPR et de l'UDF, sauf que le nouveau RPR serait plus à droite que son ancêtre, au moins sur la thématique des flux migratoires et du désormais fameux Grand Remplacement (appelé à un bel ou sombre avenir, je pense).
Maintenant, je ne suis plus naïf et je connais la force de l'inertie. Quand on est de droite, on espère toujours une droite droite et non une droite empruntée, soucieuse des inévitables crachats de la gauche (dont c'est le métier de cracher et de voir un Nazi embusqué derrière chaque mot, chaque intention), une droite qui ne s'assume pas, sinon dans les discours, qui se dit de droite avec le front rouge de honte et ronronne dans les faits vers le centre, cette île paisible dont les cocotiers de plastique ne connaissent pas les vents, que l'histoire se garde bien d'aborder. Cette droite républicaine que nous attendons toujours, toujours elle nous déçoit, parce qu'elle s'inquiète sans cesse, quoi qu'elle en dise, du jugement de la gauche, toujours défavorable, même quand la droite prend une décision de gauche. Sarkozy déciderait d'accorder le droit au mariage et à l'adoption aux homosexuels (ce qu'à Dieu ne plaise !), la gauche de toute manière clabauderait. On le sait, ça nous agace, mais on continue de se positionner par rapport à elle, avec des mines, des grâces et une manière de courroux gêné de soi-même, on laisse la gauche nantir nos paletots d'une sinistre étoile... brune, évidemment. Alors, bien sûr, les plus à droite de nos troupes désertent peu à peu le camp républicain pour gagner celui des fachos éructant de haine (à ce qu'il paraît, selon la rumeur, parce que moi, la haine, le mépris, je les décèle plutôt à gauche). Ceux qui prennent chaque réverbère pour un Nazi finiront par ne plus pouvoir soulager leurs vessies contre un réverbère sans voir celui-ci s'arracher de terre et foutre une raclée verticale, horizontale et longitudinale à ces impudents. Le laxisme radical de la gauche appelle non l'indignation, la rouspétance, mais la rébellion, la baston.
Cette campagne qui emmerde Cohn-Bendit, si elle manque de couleurs, elle est riche de sa dramaturgie.
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