Le plus grand résistant de la Résistance n'a pas résisté à l'insistance de l'irrésistible drôle qui gouverne les cieux. En effet, Raymond Aubrac est mort. On en fait tout un plat. Les journaux-qui-ne-dérapent-jamais publient sa bobine à la Une et prennent un magistral coup de vieux dans les dents, puisque l'estimable papy avait 97 ans. Pensez un peu, jeunesse de France et de Navarre, que ce digne soldat de l'ombre avait connu Jean Moulin et avait même été l'un des derniers à l'avoir connu vivant, exploit dont ne peut pas se vanter Stéphane Hessel ! Ça vous situe le personnage. Ça vous le projette en 3D en plein écran, et ça fait peur. Résister ça conserve, y a pas à dire. Quoi qu'il en soit, il passa l'arme à gauche. Ah, on me souffle qu'il y était déjà, à gauche. Eh bien l'y voilà pour l'éternité, et ce n'est pas volé. Réflexion goguenarde d'un ami : « On va peut-être pouvoir passer à autre chose... » Que Dieu l'entende.
Le même jour, et par une singulière ironie du sort, était annoncée discrètement la mort, deux jours plus tôt, d'un ancêtre un peu moins décati (92 ans), dont le nom pour la plupart n'existait en aucun endroit de la mémoire jusqu'à l'annonce de son décès. Le malchanceux avait nom François Brigneau, et c'était en quelque sorte l'exact opposé de Raymond Aubrac — si bien que, eût dit Jacques Brel, il sentait pas bon. La nouvelle de sa mort ne se répandit donc pas. La rubrique des chiens crevés fut son médiatique tombeau. Moi-même, je n'ai appris la nouvelle que grâce à la vigilance mortuaire d'amis sur Facebook, alors que je suis un bouffeur de presse (par mon assiduité, mais également à la manière agressive des bouffeurs de curés). CV brun à souhait pour cet ancien véritable collabo (il s'engage dans la Milice au lendemain du... débarquement allié !), cofondateur en 72 du FN. Vous sentez d'ici la charogne ? Ça pue, hein ? Je vous l'avais dit.
Journaliste et éditeur, François Brigneau, sous divers pseudonymes, dont certains charmants (Mathilde Cruz, Caroline Jones), était surtout un écrivain de tout premier ordre (On aime Mathilde Cruz. On le dit. On estime que Brigneau reste l’une des meilleures plumes de ce pays. On le proclame. — Michel-Georges Micberth dixit, dans La lettre de Micberth en 84). Son Jean Moulin à lui s'appelait Robert Brasillach, qu'il admirait et côtoya à la prison de Fresnes. Il fut proche des Hussards, mouvement littéraire informel plus ou moins assimilable à l'anarchisme de droite. Il eut pour ami le très aimable Antoine Blondin qui fit de lui l'un des dédicataires de L'école buissonnière (sous le pseudonyme qu'utilisait alors Brigneau à l'époque, Julien Guernec). Bref, le CV d'un salaud, du genre de ceux qu'on n'étale pas sous les yeux des petits-enfants et arrière-petits-enfants de mononc' Hessel (des fois qu'ils passeraient de la courtoise indignation à la colère en nous mettant à l'Élysée celui qu'on n'a cure d'y voir, J.-L. Mélenchon). Sa mort fut donc évacuée par l'office et promptement oubliée.
Comme si ce n'était pas assez d'émotions, nous apprîmes hier matin la mort à Alger d'un troisième nonagénaire (95 ans), au CV presque aussi long qu'un séjour carcéral à perpétuité : celle de l'ancien et premier président de l'Algérie-plus-française, Ahmed Ben Bella (celui qui ajoute Bartók, je l'achève). Un dinosaure de plus au musée de l'Histoire. Le hasard manquant une fois de plus d'objectivité, Ben Bella meurt pas même un mois après les « célébrations » du cinquantième anniversaire des Accords d'Évian. Ne pouvant tout connaître, j'apprends en parcourant sa biographie que l'ancien chef du FLN a joué une saison (39-40) à l'Olympique de Marseille. Alors ça, c'est formidable. C'est formidable pour la transition que je vais faire. Je voulais consacrer à ce micro-sujet une note sur le ton de la prophétie, mais je vais le faire à la suite de cette nécrologie, puisque le hasard m'offre cette perche.
Avez-vous vu ? L'US Quevilly, club de National (division 3), jouera la finale de la Coupe de France après avoir bouté hors de la compétition le club de Rennes (Ligue 1) en demi-finale, et l'Olympique de Marseille (Ligue 1) au tour précédent. Peu vous chaut, dites-vous ? C'est que, moi, je pense à autre chose. C'est une de mes marottes que de penser toujours à autre chose, d'essayer de voir au-delà du tableau, de palper un peu la cuisse tiède du destin, de projeter peut-être mes lubies et mes fantasmes sur le devant de la scène afin de les y voir jouer un rôle historique (j'aime que les choses n'aillent pas toujours comme on entend qu'elles aillent). Ce n'est pas la première fois qu'un petit Poucet (je justifie une partie du titre de ma note) s'illustre en Coupe de France (c'est un de ses charmes d'ailleurs). Voici trois ans, le club de Guingamp remportait une finale de Coupe 100% bretonne face au Stade Rennais, tout en étant pensionnaire de Ligue 2. Quevilly, c'est encore un plus petit Poucet, un David qui a terrassé deux fois déjà des Goliath. Qu'il perde ou non la finale contre l'ogre lyonnais n'empêchera pas qu'il s'est bel et bien qualifié pour une finale où personne ne l'attendait, dont ce club était exclu par le simple bon sens et la loi — théorique ici — du plus fort.
Vous en faites ce que vous voulez, mais je pense à la compétition électorale en cours, dont les qualifiés pour la grande finale seront connus au soir du 22 avril prochain, finale dont on nous assure qu'elle opposera les deux plus grosses cylindrées de Ligue 1, Hollande et Sarkozy (l'ordre est alphabétique et non sentimental). C'est évident, garanti, presque officiel. Vous lisez bien la presse comme moi, non ? Ce l'est tellement que les éliminatoires du 22 avril ne seraient maintenues que pour amuser un peu la galerie (vous et moi, les enfants) et permettre aux états-majors respectifs des finalistes d'ores et déjà qualifiés de peaufiner leur tactique en vue du duel annoncé pour le 6 mai, jour de la finale.
Allez un peu expliquer aux joueurs, à l'entraîneur, aux supporteurs de l'US Quevilly, qu'ils se sont gourés de réalité et que ce n'est pas Dieu possible qu'ils se soient qualifiés pour une finale où nul ne les attendait. Vous entendrez des vestiaires et du stade monter les rires de ces diablotins...
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