28 mars 2012

Le petit cri sec de l'avenir

Nul ne peut-être assuré que demain aura bien lieu. Dieu peut fermer la boutique inopinément, une quelconque astéroïde frapper la Terre et la réduire en poussière. Me défrisent le chou ceux-là qui frémissent de plaisir et frissonnent à l'idée de l'avenir. En quoi rien peut-il être désirable ?

Demain ? Quoi, demain ? Un jour de plus, encore ! Un jour de moins surtout. Un poil blanc supplémentaire, un dos qui se courbe inexorablement, une implacable et lente dérive vers le cercueil et le néant promis. Ainsi vu, l'avenir n'est pas une excitante page blanche à barbouiller, mais un trou que ma carcasse comblera. Pas hâte d'y être déjà. 

Je ne sais pourquoi l'avenir est regardé par les optimistes comme un enfant rieur aux joues roses et pleines. À cause des enfants, peut-être. Chaque parent souhaite pour son enfant un avenir, et comme il aime son enfant, il lui souhaite un bel avenir et non quelque chose de bien pourri. L'avenir ainsi gazouille et bave. Ses couches sont gonflées d'espoir, elles embaument. 

L'optimisme que suscite l'avenir est un vœu pieux. On espère que... Aucune garantie ne vous est remise à l'achat, aucune plainte ne pourra être déposée en cas de défectuosité. Demain peut tout aussi bien chanter que déchanter. S'il chante, ce sera bref. Il déchantera de toute façon. Comptez sur lui. Ses vers nettoieront vos os.

J'entends bien que le passé est révolu, qu'il n'y a pas à gémir là-dessus. Qui parle de gémir ? Qui parle d'en exalter les fureurs monotones ? Le passé-qui-n'existe-plus a pour lui d'avoir existé. Qu'on le regarde comme un hideux fantôme au drap moisi ou comme une ancienne et nonchalante jeune fille au regard sépia d'antan, il a eu lieu, on a des preuves de son existence et les traces de son passage sont visibles partout (dans vos rides au coin de vos yeux, mesdames qui êtes encore pourtant jeunes et jolies, le passé parle et même sourit). 

Le passé n'est pas si révolu que ça, puisque nous sommes. Notre existence est l'expression vivante de notre vécu. Nous ne pouvons être que si nous avons été. Nous sommes riches de notre mémoire. 

Ceux — des politiciens souvent, ou des vieillards coquets — qui affirment dédaigner le passé et n'avoir d'yeux que pour l'avenir sont d'évidents bluffeurs ou des naïfs. Si l'avenir peut et doit être (si on fait le pari qu'il prendra corps, que l'Épicier du ciel a encore envie de nous vendre ses salades et ses colifichets), il ne saurait être en rupture avec le passé. Il doit s'inspirer du passé, de ses innombrables leçons. Pas d'avenir sans mémoire — sans bonne mémoire. Se souvenir et projeter en fonction de la mémoire, construire sur le socle solide de l'Histoire et de l'expérience (la nôtre, celles des autres hommes).

Le petit cri sec de l'avenir, l'entendez-vous ? On vous étrangle à l'improviste, une ultime plainte s'échappe de votre gosier...

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